Moi capitaine est né du tissage de plusieurs récits de jeunes qui ont éprouvé la traversée de l’Afrique vers l’Europe. En les écoutant, Matteo Garrone a pris conscience que leurs histoires constituaient sans doute le seul récit épique contemporain possible : "Avant de réaliser ce film, je connaissais, par le prisme des médias, les péripéties et atrocités subies par les migrants au cours de leurs longs voyages."
"Cependant, ces images concernaient quasi exclusivement la dernière partie du périple : des embarcations retournées en pleine mer, des cadavres flottants, des migrants désespérés implorant de l’aide, l’habituel décompte des morts et des vivants. Je m’étais malheureusement habitué à n’y voir que des chiffres, et non plus des êtres humains", se rappelle le réalisateur de Gomorra.
Authenticité maximale
Lors d’une visite d’un centre d’accueil de mineurs à Catane (Italie), Matteo Garrone a entendu le récit d’un jeune africain qui, du haut de ses quinze ans, avait conduit un bateau jusqu’aux côtes italiennes, sauvant ainsi la vie de tous ses passagers. Le cinéaste précise : "J'ai voulu filmer dans la direction radicalement opposée de celles des médias. Embrasser la perspective et le point de vue de ces personnes pour narrer ce voyage épique, fait de vie et de mort. Pour pouvoir raconter de l’intérieur cette aventure pleine de dangers, il était nécessaire que je me plonge dans leur monde, si éloigné du mien."
"Il m’a fallu pour cela construire une relation de collaboration constante avec tous ces jeunes, filles et garçons, qui ont vécu l’horreur et qui m'ont accompagné dans la construction du film. J’ai longtemps questionné ma légitimité à porter cette histoire, mais celle-ci est la leur. La clé était de pouvoir compter sur eux tant devant que derrière la caméra, afin d’être dans la démarche la plus authentique possible, loin de tout didactisme, en tant que messager discret."
"Toucher les consciences"
Mamadou Kouassi ajoute : "Le cinéma m’a ainsi permis de raconter notre histoire, notre souffrance, notre vie, nos traditions, nos cultures. Il permet de les partager aux générations actuelles et futures, de raconter ce rêve d’une Europe que nous imaginons comme une terre de liberté absolue. Le cinéma devient ainsi la voix des sans-voix. Ce périple m’a laissé de véritables cicatrices : la traversée du désert, les prisons libyennes, mais surtout la déshumanisation des hommes, capables du pire."
"Aujourd’hui, le film me permet de raconter ma souffrance mais aussi celle d’autres personnes qui sont mortes dans le désert libyen et lors de la traversée de la mer Méditerranée. C’est aussi et surtout un moyen de toucher les consciences à l’international et engendrer, peut-être, une forme de changement."