Je vous propose de partager la projection de ce film au cinéma Jean Eustache de Pessac Centre, proposée au tarif de 3 € de pour tous.

La séance est à 18h50.

Nous pourrons à la suite de la projection en débattre autour d'un verre et/ou un grignotage.

LES ALGUES VERTES 

Pierre JOLIVET - France 2023 1h47mn - avec Céline Sallette, Nina Meurisse, Julie Ferrier, Pasquale D’Inca, Clémentine Poidatz, Jonathan Lambert, Adrien Jolivet... Scénario d’Inès Léraud et Pierre Jolivet, d’après la bande dessinée Les Algues vertes – l’histoire interdite, d’Inès Léraud et Pierre Van Hove. 

Journaliste opiniâtre, spécialisée dans les sujets de santé publique (l’amiante, le mercure…) et environnementaux, Inès Léraud a un tableau d’honneur dont elle se serait sans doute volontiers passée, mais qui impressionne tant il raconte ce qu’il lui a fallu de courage, de détermination, pour mener son travail d’enquête sur les « algues vertes » – et le porter à la connaissance du public. Elle peut en effet se vanter, sur le seul petit territoire breton, d’être la bête noire à la fois de la FNSEA, du lobby agro-industriel, du très patronal et identitaire Institut de Locarn (rebaptisé sobrement « Le Keréden »), des chambres d’agriculture ainsi que des élus des conseils régional et départementaux de droite comme de gauche – bref de tout ce qui en Bretagne touche de près ou de loin au modèle agricole productiviste. C’est peu dire qu’avec de tels adversaires, tous les moyens de pression, toutes les chausse-trapes, censures, intimidations, auront été mis en œuvre pour l’empêcher de mettre au jour d’une part les liens avérés entre la mort par intoxication de plusieurs personnes (et animaux) sur les côtes bretonnes et la présence massive d’algues vertes, et d’autre part la prolifération terrifiante de ces algues avec le développement de l’élevage intensif de porcs, principalement dans les Côtes d’Armor et le Finistère. La grande, très grande faute d’Inès Léraud est donc double. Révéler au grand public le danger létal que représentent les algues vertes, c’est risquer de faire vaciller l’activité touristique qui fait vivre une région dotée du plus long littoral de France. Mettre en cause l’élevage de porcs en batteries en Bretagne, c’est remettre en cause le modèle agricole de la première région productrice de viande porcine (et de volailles) en France. Pour le pouvoir local, pour les industriels, il est donc de toute première urgence de la réduire au silence.

Sobre, très factuel, le film de Pierre Jolivet est à la fois l’adaptation de l’enquête, précise, passionnante, effrayante, d’Inès Léraud et la documentation des conditions invraisemblables, aux limites du thriller politique, dans lesquelles la journaliste a travaillé. Il décrit l’engrenage dans lequel elle se retrouve prise, entre les révélations glaçantes, les témoignages effarants, les témoins qui se dévoilent et se récusent et les multiples pressions politiques et économiques (la Région Bretagne et les industriels bretons sont d’importants annonceurs publicitaires) dont ont fait l’objet les médias susceptibles de relayer ses informations. Et le danger, d’abord diffus, qui se fait plus nettement jour au fur et à mesure que ses investigations avancent, les menaces plus ou moins directement formulées qui la visent, elle et son couple, pour l’amener à déposer les armes…

De tous les plans, Céline Salette campe une Inès puissante mais assez peu héroïque, paradoxalement fragile derrière sa cuirasse indestructible, tantôt forte de ses certitudes, tantôt ébranlée par ses découvertes et fragilisée par les attaques dont elle fait incessamment l’objet. Las, même publiée, même rencontrant un énorme succès de librairie, et alors même qu’elle correspond à un vif intérêt de la population bretonne pour la question des « algues vertes » (on serait intéressé à moins), « l’enquête [reste] interdite » en Bretagne. Interdite de promotion, de salons du livre, de couverture médiatique sur le sol breton, son adaptation au cinéma aura rencontré les mêmes tentatives de blocage et de censure – absence d’aides publiques, refus d’autorisations de tournage –, devenant en soi un ultime chapitre du livre des aventures don quichottesques d’Agnès Léraud contre les géants de l’agro-alimentaire. 

Un travail, un livre, un film de salubrité publique, à voir, lire et partager de toute urgence.