Ken Loach a tourné par le passé deux films dans le nord-est de l’Angleterre qui parlent de gens pris au piège d’une société fragmentée. Il s'agit de Moi, Daniel Blake (2016) et Sorry We Missed You (2019). De manière inéluctable, ces deux films se terminaient tragiquement. Pourtant, le cinéaste a rencontré là-bas beaucoup de gens généreux :
"Il nous semblait que nous devions tourner un troisième film qui s’en ferait l’écho, sans pour autant minimiser les difficultés auxquelles les habitants font face et les épreuves traversées par la région au cours des dernières décennies. Il y avait donc matière pour une autre histoire si seulement nous parvenions à la raconter."
"L’un des points de départ était la réalité d’une région qui a été abandonnée. L’activité industrielle – construction navale, sidérurgie, industrie minière – avait disparu et rien ou presque ne l’a remplacée. La plupart des villages miniers, autrefois prospères et fiers de leurs traditions de solidarité, ont été laissés à l’abandon par les politiques."
"Nous nous sommes rendu compte que les gens n’attendaient plus rien des conservateurs, et l’échec du Parti travailliste était fustigé. Ces villages ont tout simplement été livrés à eux-mêmes. Beaucoup de familles ont quitté la région, les magasins ont fermé, tout comme les écoles, les bibliothèques, les églises et la plupart des lieux publics."
"De manière inquiétante, l’extrême-droite s’est renforcée. Des communes de régions plus riches ont transféré des habitants vulnérables et défavorisés – considérés comme « personnes à problèmes » et tributaires d’allocations de logement – vers des villages où le logement était bon marché. Il était inévitable que des conflits éclatent."
Naissance du projet (suite)
Puis, le gouvernement a fini par accepter d’accueillir des réfugiés fuyant la guerre en Syrie. Ken Loach précise : "On en a accueilli moins que dans la plupart des pays européens, mais il fallait bien leur trouver un port d’attache. Là encore, il n’a pas fallu s’étonner que le nord-est en accueille davantage que toute autre région."
"Pourquoi ? Parce que le logement y est bon marché et que les grands médias ne s’y intéressent pas. Paul a appris ce qui s’était passé, au départ, lorsque des familles syriennes étaient arrivées sur place, et on a commencé à se dire qu’on tenait le sujet de notre film. Mais il fallait d’abord qu’on comprenne ce qui s’était passé."
"Il y avait deux communautés vivant l’une à côté de l’autre, souffrant de graves problèmes, mais dont l’une avait subi un traumatisme et qui pleurait ses morts et s’inquiétait pour ceux restés sur place. Ils étaient étrangers dans un pays qu’ils ne connaissaient pas. Est-ce que ces deux communautés pouvaient cohabiter ?"
"Les réponses sont forcément contradictoires. À une époque aussi sombre, comment trouver l’espoir ? C’était une question difficile et Paul, Rebecca et moi nous sommes dit qu’on devrait rechercher une réponse."
Souci d'authenticité
Pour The Old Oak, Ken Loach voulait que tous les interprètes du film, en dehors des Syriens, soient issus des villages du nord-est de l'Angleterre. Le metteur en scène développe : "Toutes les réactions différentes à la présence des Syriens étaient le fait de gens qui avaient vécu dans les mêmes rues, partagé la même histoire, et savaient qu’il y avait eu de bons moments avant que ne surgissent les tensions. Ensuite, il est clair que la même situation peut être interprétée de manières très différentes – et que les conflits du film ont la même origine."
"Par conséquent, il fallait qu’on trouve des gens qui fassent partie intégrante de l’environnement du village. On ne pouvait pas se contenter d’un accent qui ne leur appartienne pas. Il fallait qu’ils puissent pousser la porte d’un pub et qu’on les prenne pour des gens du coin. On pourrait se dire qu’il s’agit d’une contrainte, mais c’était tout le contraire. Nous avons rencontré énormément de gens très doués, qu’il s’agisse d’acteurs aguerris ou de relatifs débutants, ou encore de personnes dont l’expérience vécue nous a immédiatement impressionnés."